Soutenance de thèse :
Origine et taux des mutations spontanées chez le bactériophage lambda
Une seule étude a estimé le taux de mutation de lambda, et conclu qu’il est 400 fois supérieur à celui de son hôte, Escherichia coli (7.8 x10-8 par base répliquée pour lambda contre 2.0 x10-10 pour E. coli). Cependant, l’absence de protocole et de données brutes réduit la fiabilité de cette estimation. Le taux de mutation est déterminé par la fidélité de la réplication de l’ADN et l’efficacité de correction des erreurs, principalement par le système de réparation de mésappariements (MMR). Comme l’ADN polymérase III d’E. coli réplique l’essentiel des deux génomes, le taux élevé de mutation de lambda a été attribué à l’inefficacité du MMR, résultant d’une méthylation incomplète par Dam des adénines aux sites GATC chez lambda, processus crucial pour la reconnaissance des erreurs par le MMR.
Mon travail de thèse visait à estimer le taux de mutation de lambda en utilisant différentes approches et étudier les mécanismes à l’origine de la forte mutagénèse chez lambda. Pour ce faire, j’ai réévalué le taux de mutation de lambda et étudié les effets de la méthylation par Dam, du MMR et des polymérases impliquées dans la synthèse translésionnelle sur la mutagénèse chez lambda. J’ai d’abord estimé le taux de mutation de lambda par séquençage à très haute-fidélité du génome entier (Duplex Sequencing ou DS), obtenant un taux de mutation maximal de 1.2 x10-8 par base répliquée et confirmant l’inefficacité du MMR sur l’ADN de lambda. Puis, j’ai estimé le taux de mutation de lambda par accumulation de mutations suivie du séquençage du génome entier (MA-WGS), obtenant un taux maximal de 9.2 x10-9 par base répliquée, confirmant la première estimation. Une limite de ces estimations est qu’elles reposent sur une hypothèse non vérifiée de réplication exponentielle de lambda. Pour s’affranchir en partie de cette hypothèse, j’ai réalisé des tests de fluctuation (FA) pour déterminer le taux de mutation dans le gène cII lors d’un seul cycle d’infection. Après correction des mutations dans un polyG (hotspot de mutagénèse), j’ai observé que le taux de mutation obtenu par FA était cohérent avec ceux obtenus par DS et MA-WGS dans les cellules sauvages (4.7 x10-9 par base répliquée). J’ai également déterminé le taux de mutation du phage lambda dans des cellules déficientes en MMR par DS et FA, et trouvé que l’inactivation du MMR augmente de 2 à 7 fois le taux de mutation selon l’approche (2.5 x10-8 par DS et 1.8 x10-7 par FA). Nous avons également observé que la délétion de dam augmentait le taux de mutation de lambda à un niveau intermédiaire par rapport à l’inactivation du MMR, comme observé pour E. coli. De plus, la surexpression de Dam n’a pas diminué le taux de mutation de lambda, suggérant que le faible niveau de méthylation n’impacte pas sa mutagénèse. Enfin, j’ai déterminé le spectre de mutation de lambda en séquençant 874 mutants cII. Le spectre de mutations de lambda est très particulier, il est différent de celui d’E. coli sauvage ou déficient pour le MMR et n’est indicatif d’aucune voie de mutagénèse connue chez E. coli, ne permettant pas de conclure quant aux mécanismes de mutagénèse chez lambda.
Dans l’ensemble, ces résultats indiquent que le taux de mutation de lambda est d’environ 5 x 10-9 par base répliquée, jusqu’à 16 fois inférieur à l’estimation précédente. Ce taux, seulement 21 fois supérieur à celui de l’hôte, ne serait pas expliqué par un dysfonctionnement du MMR pendant le cycle lytique, comme précédemment supposé, mais probablement par des mécanismes moléculaires modifiant le taux et la nature des erreurs de réplication de Pol III sur l’ADN du phage. Ces mécanismes n’impliquent pas l’utilisation des polymérases sujettes aux erreurs. Mon travail fournit de nouvelles perspectives sur la mutagénèse des phages à génome à ADN double-brin et ainsi sur le contrôle de leurs capacités évolutives, ce qui pourra être utile pour l’utilisation des phages pour lutter contre les infections bactériennes.
Membres du jury:
- Luisa DE SORDI, Sorbonne Université, Centre de Recherche Saint-Antoine
- Gilles FISCHER, Sorbonne Université, Laboratory of Computational and Quantitative Biology, UMR7238 CNRS
- Ivan MATIC, Université Paris-Cité, Institut Cochin, INSERM
- Clara TORRES-BARCELO, Université de Montpellier, PHIM Plant Health Institute, INRAe, CIRAD, Institut Agro, IRD
Thèse dirigée par:
Marina ELEZ (Directrice de recherche, Micalis Institute, INRAE, équipe MuSE) et Marianne DE PAEPE (Chargée de recherche, Micalis Institute, INRAE, équipe MuSE).